L'approvisionnement des médicaments : un problème franco-français ?

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L'approvisionnement des médicaments : un problème franco-français ?

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  • Deux pharmaciennes sélectionnent des médicaments dans la réserve - La Prévention Médicale

La gestion des ruptures d’approvisionnement médicamenteux est un problème complexe qui réclame une stratégie collective. L’expérience du Royaume-Uni ressemble beaucoup à la nôtre…

Auteur : le Pr René AMALBERTI, Docteur en psychologie des processus cognitifs, ancien conseiller HAS / MAJ : 17/07/2025

Une problématique observée dans d'autres pays d'Europe...

Les ruptures d’approvisionnement médicamenteux ont plutôt tendance à augmenter au Royaume-Uni, et les mesures récentes du Président Donald Trump ont un effet d’accélération sur cette question.

On pourrait se croire singulier avec notre problème français sur ces questions de rupture de médicaments. Mais un article récent (Fortune et al, 2025) montre que nous partageons beaucoup de similarités avec d’autres pays européens, et notamment avec le Royaume-Uni, dont on pourrait croire parfois que les différences avec nous sur ce point sont considérables. La question dépasse à l’évidence nos frontières, devient bien plus générique, complexe et systémique. Elle réclame des stratégies plus globales que celles tentées récemment et nationalement çà et là, sans perspective d’une logique de marché européen. 

Partout, les professionnels de santé doivent de plus en plus s’impliquer personnellement et passer du temps à se procurer pour leurs patients certains médicaments, dont l’arrêt serait très préjudiciable. 

Quels chiffres sur ces ruptures ?

La question est devenue très sensible au Royaume-Uni sur des médicaments antiépileptiques, certains antibiotiques, hormones thyroïdiennes, pas mal de molécules psychotropes, et maintenant certains anti-cancéreux.

  • Des enquêtes récentes au Royaume-Uni montrent que, sur un échantillon représentatif de 1 650 patients, 42% avaient rencontré des problèmes d’approvisionnement sur au moins un médicament clé de leur traitement.
  • Des enquêtes similaires dans 26 pays d’Europe conduites en 2023 (Gaudiaut, 2024) donnaient des chiffres similaires ; par exemple, en France, 44% des patients étaient exposés à des ruptures d’approvisionnement et des délais sur leur traitement en 2023.
  • Les conséquences les plus perçues étaient les interruptions de traitement (88% des pays), la hausse des coûts en raison d'alternatives plus chères ou non remboursées (73%), et un traitement sous-optimal avec une efficacité réduite (73%).
  • Toujours en France, les chiffres étaient de 868 médicaments en rupture en 2018, et on est passé à 4 900 médicaments en rupture en 2024 dont 400 étaient d’intérêt thérapeutique majeur (MTIM), soit +30,9% en 2022, et +128% par rapport à 2021 (source Dress).
  • Le risque s’ajoute encore au risque quand ces patients tentent de contourner le système et utilisent des sources Internet non fiables pour s’approvisionner.

De quoi parle-t-on ?

  • Les médicaments d’intérêt thérapeutique majeur (MITM) sont définis, selon le code de la santé publique français, comme les médicaments pour lesquels une interruption de traitement est susceptible de mettre en jeu le pronostic vital des patients à court ou moyen terme, ou représente une perte de chance importante compte tenu de la gravité ou du potentiel évolutif de la maladie. Selon la liste de l’ANSM publiée en décembre 2024, sur les 17 000 présentations de médicaments commercialisées, environ 10 000 sont des MITM.
  • En France, les déclarations de rupture de stock se sont concentrées sur un nombre limité de classes de médicaments. Quatre classes rassemblent près des trois-quarts des déclarations : les médicaments du système cardio-vasculaire (environ 30% des déclarations), ceux du système nerveux (20%), les antibiotiques (14%) et les médicaments du système digestif (environ 10%). Pour autant, toutes les classes thérapeutiques ont été touchées par l’augmentation des tensions et ruptures sur les stocks en 2021 et 2022 (Baudet et Dherbecourt, 2025).
     

L’Académie Royale de pharmacie Anglaise (Royal Pharmaceutical Society - RPS), aidée par des donateurs, s’est saisie du problème et propose une stratégie nationale pour circonscrire la question et mettre en place des solutions.

La chaine d’approvisionnement des médicaments est complexe, et les raisons des ruptures sont multiples, rendant du coup difficile une réaction corrective ponctuelle en jouant sur un seul levier. 

Deux grandes raisons des pénuries

Parmi les raisons des ruptures, on retrouve pêle-mêle la réduction progressive des sites de l’industrie du médicament au Royaume-Uni avec :

  • Une décentralisation massive en Inde et Chine de plus en plus forte pour des logiques de coût de production.
  • Un tournant tout aussi massif par un fléchage comminatoire de l’État vers l’usage de génériques, qui tirent en retour vers le bas les bénéfices des industriels. Ces actions peuvent apparaître en première intention bénéficiaires pour les patients et pour l’État (notamment sur les coûts) mais se retournent de fait contre eux dans un marché hautement compétitif. 

Les solutions doivent être pensées au-delà des limites d'un pays donné

  • Le gouvernement anglais - tout comme pas mal d’autres pays européens dont la France - ont poussé récemment à la réindustrialisation sur leur sol des médicaments clés. Mais cela ne peut pas se faire sans injecter de l’argent pour compenser le surcoût pour les entreprises du médicament. Dans l’ensemble, ces initiatives de relocalisation ont échoué, en grande partie parce que le marché local n’est pas suffisant pour être rentable pour les industriels ; il faudrait au moins penser ces marchés de relocalisation au niveau européen, ce qui a bien du mal à exister, et évidemment s’applique encore moins à l’Angleterre après le Brexit. Des fonds de donateurs sont une autre voie possible, soutenant la recherche et la production en Angleterre.
  • L’étatisation de la production a aussi été évoquée, mais les analystes n’y croient pas beaucoup, car, hormis le coût à supporter parfois considérable pour les citoyens et le budget de l’État dans un période en plus critique au point de vue économique, la chaîne d’approvisionnement resterait tout aussi fragile et dépendante des mêmes pays étrangers. Une alternative pourrait consister à mettre en place une surveillance renforcée et anticipée du risque par l’État, une sorte de résilience renforcée, et de nature quasi politique sur les actions faisables au niveau international sur la chaîne d’approvisionnement ; c’est en partie fait par des négociations avec les usines étrangères, mais mérite là aussi une logique collective d’acheteur, en lien avec une logique de marché unique européen.
  • La communauté pharmaceutique n’est pas en reste dans ces difficultés, car elle reste exposée à des pertes financières importantes, particulièrement quand elle doit se procurer des médicaments critiques à des prix élevés, dépassant largement le taux de remboursement des autorités anglaises.
  • Enfin, on ne doit pas sous-estimer les coûts cachés dans un monde médical en crise et déjà en surcharge de travail, avec le temps qu’il faut accorder pour venir en aide aux patients et les aider à trouver les molécules clés qui sont prescrites (ou pour en prescrire d’autres alternatives). Faire le tour des pharmacies pour trouver "l’objet rare" devient une routine au Royaume-Uni, en plus rarement couronnée de succès tant le problème est général et les ruptures volatiles dans leur forme et intensité. Un système de localisation des lieux encore approvisionnés aurait du mal à rester actualisé dans ces conditions volatiles. Sans parler qu’à ce jeu de recherche de l’objet épuisé qui devient individuel plus que collectif, les plus riches sont toujours favorisés et les inégalités sont fatalement augmentées.
     

Malgré tous ces obstacles, le Royaume-Uni essaie de gérer au mieux. Le taux de médicaments en rupture reste voisin de 2,5% des prescriptions.

Les actions les plus souhaitables, mais qui méritent améliorations, restent l’organisation d’actions coordonnées entre toutes les parties, y compris les patients. On voit encore trop souvent la faute de la rupture retomber sur les pharmacies, mais clairement, le problème est plus transversal, mobilisant les prescripteurs, l’État, et toutes les composantes techniques et financières de la chaîne d’approvisionnement .